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Le relativisme éthique grandit en Europe


Ján Figeľ avec sa petite-fille Isabelle

Ancien vice-président du gouvernement de la République slovaque (2010-2012), Ján Figel appartient au Mouvement chrétien-démocrate (KDH). Il a été à plusieurs reprises député, secrétaire d’Etat, négociateur en chef pour l’adhésion de la Slovaquie à l’Union européenne, Commissaire européen et ministre. C’est dire s’il connaît les rouages de la politique, tant nationale qu’européenne. Mais Ján Figel n’a jamais mis sa foi dans sa poche.

« Minute » : Lors des élections législatives de mars 2016, le Mouvement chrétien-démocrate (KDH) a fait un score médiocre, et vous avez remis votre mandat de président. Pensez-vous que ce mauvais résultat reflète un infléchissement de la société slovaque par rapport aux idées chrétiennes que vous défendez ?

Ján Figel : Il nous faut analyser et apprendre de nos erreurs commises lors de la campagne électorale, que ce soit pour le choix des candidats, la communication ou le programme politique. Mais on constate également des tendances sociétales croissantes qui portent vers l’extrémisme et un populisme antipolitique. Et pas seulement en Slovaquie.

D’un autre côté, KDH a aujourd’hui l’occasion de se lancer dans un renouveau moderne et fort. J’ai commencé ce processus, mais les fruits, je l’espère, viendront plus tard sous la nouvelle direction. Et l’inspiration chrétienne nous appelle à faire preuve de davantage d’unité dans le domaine public. L’unité des forces chrétiennes, conservatrices et de centre-droit, faisait également défaut. Le manque d’unité nous vouait à l’échec.

Votre parti est opposé au « mariage » homosexuel et à l’avortement. Ces positions sont-elles acceptées en Slovaquie ? Et sont-elles acceptées par le Parti populaire européen (PPE) auquel vous appartenez ?

En ce qui concerne la famille, nous avons réussi en 2014 à inclure la définition, la protection et le soutien au mariage en tant qu’union unique entre un homme et une femme dans la Constitution slovaque. Une des raisons pour la quelle mes collègues et moi avons pris cette initiative était celle de la législation française sur le « mariage pour tous », mais aussi les changements législatifs en Allemagne ou au Royaume-Uni. Le relativisme éthique grandit en Europe, et touche jusqu’aux structures politiques. KDH a été établi comme un mouvement authentique pendant la lutte pour la liberté, la démocratie et les droits de l’homme. Il n’y a pas beaucoup de partis au sein du PPE à avoir des positions sans équivoque sur les valeurs fondamentales. Il est indispensable que les chrétiens-démocrates participent aux réponses futures de l’Union européenne sur ces questions. Leur rôle est important si nous voulons que la communauté soit revitalisée dans un sens de vraie solidarité et de vraie responsabilité.

« La défense de la vie est un devoir »

Vous avez participé, le 12 mars dernier, à la journée de la fédé- ration européenne pro-vie « Un de nous » à Paris. Cela signifie-t-il que la défense de la vie prime dans votre vision de la politique et de la société ?

La défense de la vie n’est pas seulement une question religieuse chrétienne ; il s’agit d’une dette – et d’un devoir qui nous incombe en tant qu’êtres humains. Nous avons tous reçu ce plus grand des dons sans condition préalable, gratuitement, avec de belles perspectives pour développer nos ta - lents et atteindre une destinée : l’accomplissement de soi et le bonheur. L’enfant à naître, la personne conçue est l’un de nous. C’est l’être le plus vulnérable et le plus innocent. Si nous protégeons la vie des pires criminels, pourquoi hésitons-nous ou sommes-nous indifférents quand il s’agit de la vie de nos compatriotes à naître, innocents et doués de talents ? Nous préoccuperions-nous des droits des migrants en négligeant les droits de la nombreuse population des enfants à venir ?

La vie a besoin de davantage d’amour afin que l’amour puisse avoir davantage de vie. L’amour envers la vie donne de la vie à l’amour. L’amour donne un sens à nos vies ! La vie représente la toute première valeur ; et l’amour ou la solidarité remplit la vie de sens, de relations et d’accomplissement. Mon credo humain, civique et politique est de « vivre et aider à vivre ! » Il découle de l’éthique chrétienne. Le slogan sociétal des libéraux est différent : « Vivre et laisser vivre ! »

Pourquoi de nombreux pays et populations européennes vieillissent-ils et s’amenuisent-ils ? Parce que les gens recherchent et placent plus haut d’autres priorités que le don d’une nouvelle vie.

La Slovaquie a une position semblable à celle de la Hongrie, de la Pologne et de plusieurs pays de la région quant à la crise migratoire. Pensez-vous pouvoir le faire admettre à Bruxelles ?

Le groupe de Visegrad (Slovaquie, Hongrie, Pologne et République tchèque) refuse un système de quotas obligatoires. Simplement parce que cela ne fonctionne pas ; et cela n’a pas non plus réglé le problème de l’afflux de migrants. Mais la critique ou le refus de Bruxelles ne saurait non plus être une réponse suffisante. Nos pays doivent donc apporter des choix raisonnables pour aider à répondre à cette crise.

Ce groupe de Visegrad a été mis en place en 1991 comme un groupe informel en vue de démanteler les structures de la domination soviétique et des régimes communistes, mais également pour construire une nouvelle Europe. Le deuxième objectif n’est pas encore réalisé. Et la nostalgie de l’ère communiste, les vieilles tentations impériales, les actes et la propagande de Moscou ne cessent de grandir en Europe centrale.

Néanmoins le groupe de Visegrad n’est pas en concurrence avec l’Union européenne et ne cherche pas à s’y substituer. Mais c’est un complément et une contribution régionale à l’intégration européenne. J’estime qu’il peut avoir aujourd’hui un rôle spécial, surtout en ce qui concerne la Slovaquie qui prendra la présidence du conseil de l’Union européenne au prochain semestre.

« Le Brexit serait un coup perdant-perdant »

Il semblerait que le terroriste islamiste Salah Abdeslam ait pu séjourner plusieurs semaines en Slovaquie l’été dernier. Votre pays est-il confronté à un phénomène de radicalisation comme nous pouvons en connaître en France ?

Le gouvernement slovaque et la police ont rassuré le peuple de manière répétée, affirmant que toutes les me - sures de sécurité étaient prises. De nombreuses compétences de la police, des services secrets et des procureurs ont été renforcés de manière significative à la suite des attentats terroristes de novembre dernier à Paris.

Il existe une petite communauté relativement dispersée d’environ 5 000 musulmans en Slovaquie. Il n’y a pas eu chez nous d’attentats terroristes comme nous avons pu en voir en France, en Espagne ou au Royaume-Uni. Mais la radicalisation fait l’objet de davantage d’attention dans la politique slovaque. Un parti radical de droite qui use efficacement d’une rhétorique contre l’Otan, l’Union européenne, les Roms, les Arabes ou les minorités a récemment fait son entrée au Parlement avec 8 % des voix. Et la tendance continue de croître.

L’Union européenne est l’une des forces qui font la promotion de la culture de mort et de l’idéologie du genre. Cependant vous avez été favorable à l’entrée de la Slovaquie dans cette Union, et vous en avez été l’un des principaux négociateurs. Pourquoi ?

L’élargissement de l’Union européenne en 2004 a rendu l’union plus européenne. Elle a permis de surmonter la division du continent. Et je crois que ce processus doit continuer. C’était le rêve des pères fondateurs de l’Europe : le désir de nations libres et de pays démocratiques. Et c’est également une nécessité pour sauvegarder la paix et la prospérité en Europe à l’heure de la mondialisation. Mais j’ai toujours soutenu ce processus sur la base de valeurs communes et partagées. Le grand pape saint Jean Paul II a appelé les Européens du centre et de l’est à rejoindre l’Union européenne, à lui apporter leur culture, leurs valeurs, leurs identités et leur potentiel.

L’Europe doit respirer avec ses deux poumons. Mais elle ne peut être une communauté commerciale et technocratique, elle a besoin d’une âme !

Vous avez été le premier Commissaire européen slovaque. A l’heure où les Britanniques se préparent à voter sur leur appartenance à l’Union européenne, pensez-vous que l’Union européenne ait un avenir ?

Le Brexit serait un coup perdant-perdant. Nous avons besoin de politiques et d’accords qui permettent de réaliser une stratégie gagnant-gagnant. Cela a été le cas la plupart du temps mal gré de nombreuses périodes critiques et d’erreurs par le passé depuis 1950. Nous devons rester attachés aux principes sains. L’Union européenne ne doit pas devenir un super-Etat, elle doit être une communauté efficace qui sert les intérêts communs des Etats membres et leurs citoyens, en nous rendant plus forts et plus attrayants et en nous donnant plus d’influence dans le monde.

Nous avons un rôle à jouer, et même une dette à l’égard du monde. Après les guerres mondiales et les goulags, les chambres à gaz et les génocides du XXe siècle, de telles horreurs se sont répandues dans le monde. Nous devrions aider à y apporter davantage d’humanité et de solidarité.

L’Union est une cible mouvante, une communauté changeante et qui grandit. Chaque génération l’adaptera pour la rendre plus moderne, plus adaptée aux besoins du temps. Mais les fondations doivent demeurer, elles doivent être préservées et même renforcées. Car une maison sans fondations stables n’est pas durable. L’érosion à la base rend la construction risquée, et même dangereuse.

Les réformes doivent être sages et opportunes, sans quoi nous payerons un prix très élevé. Une politique ne peut être bénéfique que si l’Union l’est à la fois pour les pays les plus riches et les plus pauvres, pour les économies plus fortes et plus faibles, et également pour les nations plus grandes et plus petites.

« Ce qui est authentiquement chrétien est profondément humain »

Votre pays va prendre la présidence tournante de l’Union européenne. Compte tenu des différends que vous avez avec l’Union européenne, pensez-vous que la Slovaquie puisse néanmoins profiter de ces six mois pour faire passer quelques-unes de ses idées ?

Historiquement, ce sera la première fois. Et on n’a jamais de deuxième chance pour refaire une première impression… Le gouvernement socialiste a introduit il y a quelques mois une procédure contre l’Union européenne et le système de relocalisation par quotas. Cette initiative politique s’est faite davantage en direction de l’audience nationale, en vue de gagner les élections. Mais cela a aggravé la position politique du pays parmi les 28, avec son fort chômage, la corruption, un système de santé qui s’effondre et le déclin de l’éducation, ce qui nécessite des réformes urgentes, courageuses et efficaces.

La présidence de l’Union européenne représente une occasion, mais c’est aussi une charge administrative et politique pour notre pays. Je souhaite à mon pays et à mes compatriotes tout ce qu’il y a de mieux ; il mérite de recevoir des encouragements pour l’avenir. Les jeunes, surtout, recherchent des perspectives ailleurs, vers l’ouest. Il leur faut voir leur patrie comme un endroit où il fait bon vivre.

Vous avez été député, ministre, Commissaire européen, président de parti… Et aujourd’hui ?

A l’heure actuelle, je passe du temps avec ma famille comme je ne l’ai jamais fait depuis 24 ans ! Avec Marianne, ma femme, nous avons quatre enfants. Et nous avons déjà trois petits-enfants. C’est une bénédiction de voir les enfants de mes enfants !

Mais je poursuis mon engagement dans le domaine public en tant que président de la fondation Anton Tunega, qui aide à former et éduquer de jeunes cadres politiques, des bénévoles et des militants. Nous organisons, avec ma femme, des actions caritatives. Je suis en outre engagé dans la coopération internationale à travers le Réseau politique pour les valeurs, fondé en 2014. J’essaie d’utiliser toutes les occasions pour renforcer le rôle de l’éducation et la culture du dialogue et du développement dans le monde.

Nous devrions tous apprendre tout au long de nos vies comment rendre notre monde plus humain et meilleur. Car ce qui est authentiquement chrétien est profondément humain.

Propos recueillis par Olivier Figueras

27 avril 2016, les entretiens Minute

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